Combien de temps les dégâts du coronavirus vont-ils affecter l’économie de la zone euro?

Plus longtemps que la plupart des gens ne le pensent. L’un des problèmes est que le virus lui-même évolue rapidement et change la façon dont il attaque les organes humains. Cela ralentit le développement d’un vaccin fiable.

Vous préconisez l’émission d’obligations perpétuelles. Pourquoi serait-ce une meilleure solution que les obligations corona ? Et quels sont les risques liés à l’émission d’obligations perpétuelles ?

Le public européen et ses dirigeants politiques ne sont pas familiers avec les obligations perpétuelles ou « consols » comme j’aime désormais les appeler, mais les consols sont bien connues au Royaume-Uni et aux États-Unis. Elles ont une longue histoire dans ces deux pays. Au Royaume-Uni, elles ont été utilisées, entre autres, pour financer les guerres contre Napoléon et pour financer la Première Guerre mondiale. Aux États-Unis, elles ont été introduites dans les années 1870.

Comme son nom l’indique, le nominal d’une obligation perpétuelle n’a jamais à être remboursé ; seuls les intérêts annuels sont dus. Une obligation de 1 000 milliards d’euros coûterait 5 milliards d’euros par an, en supposant un taux d’intérêt de 0,5 %. Les consols n’auraient pas à être vendues en une seule fois ; elles pourraient être émises par tranches et elles seraient achetées par des investisseurs à long terme comme les compagnies d’assurance-vie qui cherchent des obligations à long terme pour couvrir leurs engagements. À mesure que les marchés se familiariseront avec ces nouveaux instruments, les tranches ultérieures attireront un plus grand nombre d’acheteurs et les obligations finiront par occuper une place de choix. C’est un très bon moment pour émettre des obligations à long terme. L’Allemagne a récemment vendu des obligations d’État à 30 ans avec un rendement négatif.

Malheureusement, ma proposition d’obligations perpétuelles a été confondue avec les « obligations corona » et cela a empoisonné le débat. Elles n’ont rien à voir les unes avec les autres. Les obligations corona ont été rejetées catégoriquement, et à juste titre, étant donné qu’elles nécessitent un degré de mutualisation tout simplement inacceptable.

C’est pourquoi je parle désormais de « consols ». La seule obligation mutuelle est le paiement des intérêts annuels, qui sont négligeables. 5 milliards d’euros par an permettent de sécuriser mille milliards d’euros requis en urgence – ce qui représente un rapport coût/bénéfice étonnamment bas de 1 pour 200 ! Ce degré de mutualisation devrait être facilement accepté par les États membres agissant soit à l’unanimité, soit par une coalition de volontaires.

Il est compréhensible que les pays dits de la Ligue hanséatique, comme les Pays-Bas, souhaitent maintenir leur contribution au budget européen à un niveau minimum. Cependant, ils sont maintenant confrontés à un choix : ils peuvent continuer à s’opposer aux consols et accepter un doublement du budget ou ils peuvent devenir des partisans enthousiastes des consols et, s’ils réussissent, augmenter leur contribution au budget de 5 %. J’invite la Ligue hanséatique et le peuple néerlandais à réfléchir à quelle alternative est préférable.

L’émission d’obligations perpétuelles ou de consols, comme vous les appelez, ne pose-t-elle pas de problèmes juridiques à l’UE ?

Si, et ils semblent insurmontables. L’UE doit maintenir une notation AAA, sinon les obligations seraient invendables. Pour cela, l’UE doit disposer de ce que l’on appelle des « ressources propres » suffisantes, c’est-à-dire des taxes qui peuvent être prélevées pour couvrir les frais de service des obligations. L’imposition de taxes est un processus long, car chaque pays a ses propres règles et dans certains d’entre pays, comme la Belgique, les règles sont très compliquées. Le processus prendrait plusieurs années et c’est pourquoi j’ai dit que les obstacles juridiques semblaient insurmontables.

Mais il existe une solution. Les taxes ont seulement besoin d’être autorisées, elles n’ont pas besoin d’être appliquées. L’autorisation devrait prendre quelques semaines, et non quelques années. Une fois autorisées, l’UE pourrait émettre des obligations perpétuelles ou consols. Les obligations perpétuelles présentent un énorme avantage par rapport aux obligations qui ont une date de fin. Comme leur nom l’indique, le nominal n’a jamais à être remboursé ; seuls les intérêts annuels doivent être payés. Comme je l’ai déjà dit, ce montant est si minime qu’il devrait être facilement accepté par les États membres. Cela devrait être particulièrement intéressant pour la Ligue hanséatique dirigée par les Pays-Bas. C’est la raison pour laquelle la Ligue hanséatique devrait soutenir ces Consols. En Allemagne, Angela Merkel est toujours chancelière et elle est la seule personne qui puisse renverser l’ordre ordo-libéral établi. Grâce à leur soutien, le sommet de la zone euro qui devrait se tenir le 27 mai pourrait encore accepter les consols comme une alternative souhaitable à explorer, mais le temps presse. Un instrument jusqu’alors totalement inconnu doit être compris et adopté.

Que se passera-t-il si votre solution n’est pas acceptée ?

Des circonstances exceptionnelles exigent des mesures exceptionnelles. Les obligations perpétuelles ou consols sont une mesure de ce genre. Elles ne devraient même pas être envisagées en temps normal. Mais si l’UE n’est pas en mesure de les envisager maintenant, elle risque de ne pas pouvoir survivre aux défis auxquels elle est actuellement confrontée. Il ne s’agit pas d’une possibilité théorique, mais d’une réalité tragique.
Le coronavirus et le changement climatique menacent non seulement la vie des gens, mais aussi la survie de notre civilisation.
L’Union européenne est particulièrement vulnérable parce qu’elle est fondée sur l’État de droit et que les roues de la justice tournent lentement, comme le dit le diction. En revanche, le coronavirus se déplace très rapidement et de manière imprévisible.

C’est pourquoi l’UE doit émettre des obligations perpétuelles. L’émission d’obligations dont le rapport coût/bénéfice est de 1:200 donne une marge de manœuvre budgétaire considérable. L’argent mobilisé ne doit pas être distribué selon la clé fiscale, c’est-à-dire selon la participation des États membres à la BCE. Il peut être alloué à ceux qui en ont le plus besoin. La majeure partie de l’argent irait aux pays du Sud car ils sont les plus touchés et qu’au sein de ces pays, cet argent pourrait aider les personnes les plus démunies et les plus nécessiteuses, comme les travailleurs agricoles non déclarés. Une partie de ces mesures a déjà été mise en œuvre, mais le montant disponible s’en verrait considérablement augmenté.

Vous êtes un ardent défenseur de la campagne anti Brexit. Qu’aurait pu faire l’UE pour éviter le Brexit ? Et devrait-elle empêcher d’autres États membres de quitter l’union ?

Ce qui est fait est fait. Cela ne sert à rien de se lamenter. Mais la question de savoir comment empêcher d’autres pays de suivre le Royaume-Uni est importante.

Je suis particulièrement préoccupé par l’Italie. Matteo Salvini, le chef du parti Lega, fait campagne pour que le pays quitte l’Euro et l’UE. Heureusement, sa popularité personnelle a diminué depuis qu’il a quitté le gouvernement, mais son plaidoyer prend de l’ampleur. Que serait l’Europe sans l’Italie ? L’Italie était autrefois le pays le plus pro-européen. Les Italiens faisaient plus confiance à l’Europe qu’à leur propre gouvernement, et pour cause. Mais ils ont été maltraités lors de la crise des réfugiés de 2015. L’UE a appliqué le règlement Dublin, qui plaçait tout le fardeau sur les pays où les réfugiés avaient débarqué en premier lieu et ne proposait aucun partage des charges financières. C’est à ce moment que les Italiens ont décidé de voter massivement pour la Lega de Salvini et le Mouvement 5 étoiles. Plus récemment, l’assouplissement des règles en matière d’aides d’État, qui favorise l’Allemagne, a été particulièrement injuste pour l’Italie, qui était déjà considérée comme le malade de l’Europe, puis le plus durement touché par le COVID-19.

Vous avez l’air très pessimiste.

Pas du tout. Tant que je peux proposer des idées comme les obligations perpétuelles, je ne perds pas espoir.